“Le fait de donner la parole et de le montrer au grand public a permis de conscientiser l’ensemble du groupe. Ça m’a donné un peu d’espoir et m’a réellement convaincue de continuer ce genre d’événements.”
Waffa Nekka
Waffa Nekka est étudiante en M1 de psychologie sociale. Amina Magouri est actuellement mentorée et en service civique chez Article 1. Ensemble, elles ont organisé l’évènement “Parlons de culture quand nos racines viennent d’ailleurs” à l’occasion de l’édition 2020 de la Journée Mondiale de l’Égalité des Chances (JMEC). Un événement qui leur a permis d’avancer sur leur projet : la création de leur association “La Troisième”, qui aborde le sujet de la double culture via des groupes de paroles animés par une psychologue.
Comment vous êtes-vous lancées dans la JMEC?
A.M: Je suis actuellement en service civique chez Article 1, l’association mère du collectif Different Leaders, à l’initiative de la JMEC. J’ai reçu un mail disant qu’il y aurait une présentation en ligne sur le but et l’organisation de la JMEC, les outils pour monter un événement et des idées d’ateliers. Du coup, je m’étais inscrite et j’avais proposé à Waffa de venir. A ce moment-là, on s’est dit pourquoi pas essayer nous aussi à notre tour de monter une JMEC pour la première fois. Sachant qu’on pensait que ce n’était pas possible pour une personne qui n’était pas DL [Different Leaders] ou en dehors de Article 1… On a soumis un projet et Wassila, membre du collectif Different Leaders et qui était référente sur la JMEC cette année, nous a contactées. On a échangé avec elle et on a décidé de faire un atelier qui s’inspire du programme qu’on va proposer aux jeunes dans notre association. Anas (un DL) nous a recommandé Akila, notre intervenante. Quand on lui a fait part de ce qu’on voulait faire, elle a dit que c’était cool, et voilà !
Pourquoi avoir choisi le thème de l’identité et de la culture ? Quel lien établissez- vous avec l’égalité des chances?
W.N: Mes études de psychologie m’ont sensibilisée au concept de culture et aux différences culturelles entre les pays. Mais c’est aussi grâce au programme Humanity in Action qui parle d’injustice sociale et qui est assez international que j’ai pu avoir une autre image de tout ce qui concerne les injustices sociales, les discriminations, le racisme, etc. Je me suis rendue compte qu’en France, il y avait cette idée de modèle républicain et qu’on parle d’inégalités sous forme d’inégalités socio-économiques. Mais je pense qu’aujourd’hui on ne peut pas parler d’inégalités socio-économiques sans parler d’inégalités raciales ou de problématiques en lien avec les discriminations.
C’était un peu un pari risqué de proposer cela dans le cadre de la Journée mondiale de l’égalité des chances parce qu’on savait que ça allait un peu à contre-courant de ce qui est généralement proposé. Avec Amina, on connaît bien le sujet de l’égalité des chances et de la méritocratie. On pense souvent que les jeunes qui réussissent ont juste suivi le “bon chemin”, et la question de l’intégration ou de l’assimilation est induite. On ne questionne jamais le cas de ceux qui réussissent et qui se demandent “Qu’est ce que je fais de la culture que j’ai apprise, qu’elle est celle de mes parents ? Qu’est ce que je fais de la culture dans laquelle j’évolue ?” On ne se rend pas compte de la dissonance et de l’ambivalence qu’ils ont eu à supporter. Grandir et aller étudier dans un milieu qui ne nous ressemble pas, ça crée aussi un malaise.
A.M: On souhaite créer une communauté pour que les jeunes sachent que réussir et avoir deux cultures ou trois, n’est pas incompatible. Pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls. pour qu’ils se motivent et se disent “Ah ! Si eux ont réussi, moi aussi je peux le faire”, On a donc choisi une intervenante qui a une double culture pour que les participants s’y identifient. Car elle a certes rencontré plein de soucis mais c’est pas pour autant qu’elle n’a pas réussi.
W.N: L’idée est aussi de les déculpabiliser : “si je réussis tant mieux, si je ne réussis pas c’est qu’il y a aussi eu d’autres facteurs qui font qu’on n’a pas les mêmes chances que les autres”. Il faut aussi pouvoir poser les mots sur la discrimination, pour la mettre à distance et avancer malgré elle.
A.M: On préférait qu’elle soit sincère et qu’elle raconte son expérience comme elle l’a été, comme ça c’est proche de la réalité. Ce n’est pas parfait.
Comment avez-vous géré l’organisation de cet événement ?
A.M: Bonne question ! On a eu des imprévus. On avait une certaine organisation en tête mais elle n’a pas forcément été appliquée. Dans notre groupe de parole, on regroupait les personnes selon leur statut (étudiants entre eux, professionnels entre eux). Finalement, c’était beaucoup plus compliqué que ça, on a dû mélanger des professionnels avec les étudiants parce qu’il n’y avait pas le même nombre d’inscrits que dans notre fichier. On a dû improviser et mélanger les personnes. Mais il faut savoir qu’on l’a monté en deux semaines !
Quel impact a eu cet événement sur vous ? De la satisfaction ? Êtes-vous fières de vous ?
W.N: J’étais super fière de voir que ce qui était parti d’une idée est devenu concret. Voir que des gens s’identifient juste à travers la fiche mise en ligne, c’était une grande étape pour nous. En animant le groupe de parole, je me suis rendue compte qu’une des participantes pensait être la seule à se poser ce genre de question. Il existe une communauté silencieuse, qui manque de représentation et qui se pose ce genre de questions identitaires. Le fait de donner la parole et de le montrer au grand public a permis de conscientiser l’ensemble du groupe. Ça m’a donné un peu d’espoir et m’a réellement convaincue de continuer ce genre d’événements. C’est important pour nous car ça s’inscrit dans une démarche qui est plus large et qui va plus dans le sens des combats contre les injustices sociales. Au vu des retours qu’on a eus, les gens ont vraiment apprécié. On sait que l’événement peut être encore mieux mais pour une première fois c’était quelque chose d’assez réussi.
Qu’est ce qui vous a particulièrement marqué pendant cet évènement ? Est-ce que vous avez une anecdote à raconter ?
W.N: Le fait que certaines personnes étaient mal à l’aise et ne savaient pas pourquoi, n’avaient même pas la possibilité de chercher une solution. L’objectif de l’événement ce n’était pas d’apporter des réponses mais au moins de leur offrir un endroit où poser les mots, et les amener à trouver leurs réponses de façon autonome.
A.M: Une des participantes disait qu’au départ elle pensait que c’était un frein d’avoir plusieurs cultures. Mais on a beaucoup plus de richesses que l’on pense parce qu’on apprend de notre culture française et on apprend aussi de notre culture étrangère.
W.N: Ce n’est pas une question de retard, c’est juste que lorsque certaines personnes étaient occupées à apprendre Voltaire et Rousseau et à lire, d’autres étaient occupées à apprendre autre chose… Pour ceux qui ont grandi en banlieue par exemple, d’un côté, il y aura la culture littéraire et de l’autre côté, “l’ethos” de la banlieue, qui est un atout dans le monde professionnel. D’autres sont bilingues et n’ont pas immédiatement conscience que c’est un atout sur le marché du travail !
Un conseil pour celles et ceux qui voudraient faire un événement pour la JMEC et ne sauraient pas comment s’y prendre ?
A.M: Mon conseil serait de faire quelque chose qui leur plaît et qui leur tient à cœur personnellement. La motivation va naître de là. Le thème de la double-culture, c’est la première fois que ça a été abordé au sein de la JMEC. C’était quelque chose d’assez original mais qui nous ressemblait.
W.N: Je dirais qu’il ne faut pas avoir peur d’essayer et de se dire tant qu’on fait les choses de manière sincère, les gens vont le ressentir. Il faut penser à son public. Je préfère avoir 20 personnes qui sont contentes à la fin de ce qu’on a apporté que d’en avoir 40 et qui ne se rappellent pas de notre évènement. C’est pour ça qu’on a fait un atelier de deux heures. C’est court, mais c’est concentré.
Un format à suggérer ? En ligne, en présentiel ?
A.M: Pas vraiment. Nous, on l’a prévu à la dernière minute, en deux semaines. Donc ça allait forcément être en ligne. Mais il y a eu les aléas du direct : c’était la première fois que je créais des salles (sur Zoom) et du coup répartir les personnes dans les salles c’était hyper galère ! Mais c’était parce que c’était la première fois.
W.N: Que ce soit à distance ou en présentiel, il y aura toujours des soucis techniques. En présentiel, il y aurait par exemple le risque d’avoir moins de gens. En digital on peut réunir des gens de toute la France. Par contre, il y a des choses qui peuvent se dire en présentiel mais qui ne peuvent pas se dire en ligne. Le distanciel c’était aussi un moyen d’atteindre plus de public. Les deux fonctionnent et ne demandent pas le même type d’efforts. On verra ce qu’on décide pour l’année prochaine !
Vous n’avez pas pu assister à l’événement ? Il est dispo en replay sur YouTube ici !
Propos recueillis par Imtinen Abidi.